PÉRIGNAC : L'EMPIRE DU CARRÉ

Le carré s’était rendu maître de la cité des MODERNES. L’empereur KARO et l’impératrice KARTÉSIA gouvernaient un vaste empire où la forme arrondie était proscrite sous peine de mort. Tout était carré, rectangulaire ou triangulaire dans ce monde où tout cercle et toutes les formes pouvant s’en approcher comme l’hexagone et le polygone étaient interdits. Aussi, tout ce qui pouvait rappeler la forme ronde était prohibé par décret impérial.

C’était ainsi depuis l’apparition du puissant QUATREX, inventeur de la roue carrée. C’est lui qui sauva l’empire de la faillite en suggérant aux financiers de faire rouler l’argent dans la consommation excessive. Ainsi, avec le principe de la roue carrée, on pouvait s’attendre à briser les routes et rendre inutile l’emploi de la roue traditionnelle. Premièrement, elle ne résisterait plus aux milliers de trous creusés par sa concurrente carrée, ensuite, les promoteurs prétendaient qu’il devenait plus économique d’utiliser une roue à quatre surfaces. Donc, la pauvre roue conventionnelle n’aurait plus sa place dans le monde des ambitieux. L’empereur trouva un excellent prétexte pour prélever d’énormes impôts en instituant un département de réparations de routes. Cela avait créé beaucoup d’emplois et les employés payaient beaucoup de taxes pour obtenir les services rattachés à l’invention de la roue carrée.

Les affaires roulaient bien pour les gestionnaires de la voirie, pour les réparateurs de routes et pour les vendeurs de charrettes. En effet, les voitures tirées par des chevaux ne pouvaient résister longtemps aux coups répétés des roues de fer sur le pavé. Comme une charrette roulait à environ dix kilomètres à l’heure, on peut s’imaginer le gros BOUM qui résultait à chaque fois qu’une surface de roue venait en contact avec le sol ! Une telle vibration suffisait pour faire céder les boulons et les vis. Les roues de métal se déformaient à très court terme. Les vendeurs de roues firent donc des affaires d’or. Les gens accusaient la mauvaise qualité des roues carrées et l’état désastreux des routes. Que dire ensuite du caractère maussade de tous ceux qui se faisaient drôlement brasser dans leurs charrettes ! Que cela ne tienne, les médecins traitaient les maux de têtes et les bosses pour presque rien. Enfin, les thérapeutes voyaient leur clientèle s’accroître depuis la création de la roue. Les citoyens avaient tous trouvé un psychologue à qui confier leurs frustrations. Comme si cela ne suffisait pas, on payait volontiers les services de massothérapie et les conseils de plusieurs gourous qui se spécialisaient dans les méthodes de relaxation. Il faut voir comment une roue dysfonctionnelle pour la population faisait rouler tant d’or.

Il va sans dire que plusieurs citoyens cherchaient à mettre un terme à la commercialisation de la roue carrée afin de résoudre le problème des maux de têtes et des frustrations collectives. Toutefois, l’empereur n’était pas intéressé à voir des milliers de travailleurs perdre leurs emplois en faisant cesser la production de la roue carrée. Tous ces employés payaient des impôts importants ; cela justifia la mise en garde impériale contre toute tentative de réinstaller la roue traditionnelle. Ainsi, le philosophe DEBLOC et grand ami de Quadrex, se fit le défenseur de la roue carrée en enseignant à ses disciples le concept suivant : “Comme la roue traditionnelle fait partie de l’époque endettée de l’empire, sa forme ne peut représenter autre chose que l’ignorance des affaires.” Il fallait s’attendre à considérer le cercle comme le grand ZÉRO, contrairement au carré qui prouva sa supériorité économique. La roue carrée était complètement en dehors de la normalisation de la forme que doit avoir ce qui roule mais grâce à la témérité de Quadrex, son invention détrôna la logique toute simple du cercle. En effet, si on ne reconnaît plus au cercle sa propriété de rouler, à quoi peut-il servir ? Donc, comme dans toute bonne société fonctionnelle, Debloc rangea cette forme parmi les inutilités géométriques car elle fut déclarée désuète. Il disait ironiquement à ses étudiants étonnés par son étrange logique, que la réalité n’était pas à découvrir, mais plutôt à inculquer à l’observateur : “Ainsi, disait-il en toute bonne foi, le cercle est une forme irrationnelle depuis qu’il ne sert plus aux citoyens de l’empire. Ce que vous voyez sous les charrettes, ce sont des roues non seulement carrées mais réelles. Qui voudrait alors contester ce fait qui s’impose à votre esprit analytique ? En fixant la forme des roues, vous en déduisez logiquement que le carré est fait pour rouler.”

L’ambition des promoteurs des roues carrées finit par agacer un certain professeur d’école de campagne du nom de RONDEAU. Ce grand amateur d’histoires anciennes trouva des milliers d’images montrant des roues de chars grecs et romains. Elles étaient toutes rondes et parfois en or massif ou bien sculptées comme des oeuvres d’art religieuses. Que se soit pour représenter les attributs des dieux et déesses ou encore, des symboles universellement reconnus par tous les peuples de l’Antiquité, ces roues anciennes représentaient l’image du cercle. Par conséquent, Rondeau refusait obstinément de s’associer aux idées véhiculées par le philosophe Debloc. Le vieux professeur n’était pas le seul à réfuter la logique d’une roue carrée, mais comme bien d’autres, il avait peur de CONTRECARRER les normes acceptées par la nouvelle école scientifique. Pour éviter d’être confronté aux découvertes du professeur hérétique, l’empereur ordonna la saisie de tous les manuscrits anciens et les fit brûler rapidement. Rondeau perdit le droit d’enseigner et se retrouva rapidement dans un foyer pour vieillards.

La Cité conservait encore quelques vestiges du cercle. Certains toits arrondis témoignaient d’une époque où les simples d’esprits aimaient s’entourer de formes “primitives”. C’est ainsi que les nouveaux scientifiques appelaient les pionniers de la cité. Debloc passa un matin devant une tour parfaitement ronde et s’exclama devant ses amis amusés : “Les primitifs croyaient sans doute important d’afficher leur ignorance en construisant LA TOUR DE LEUR CONNAISSANCE !” Le philosophe s’amusa même à spécifier que le mot connaissance devait être pris au SINGULIER. Il ne parlait pas seulement d’une seule connaissance, mais d’un savoir irrationnel représenté par la tour. “Évidemment, les primates en faisaient le tour rapidement, ajoutait-il en riant.” Ainsi, le temps du cercle était révolu depuis que le feu rasa la plupart des maisons et immeubles aux styles arrondis. Il fallait éviter de laisser le moindre doute concernant l’irréalité du cercle. Les gens étaient tellement mécontents des piètres résultats de la roue carrée qu’il fallait éviter de leur rappeler la forme ancestrale des roues de charrettes.

Les années passèrent et avec elles disparût l’empereur, ainsi que la plupart des grands initiateurs de la roue carrée. Celle-ci demeurait en fonction car les citoyens oublièrent finalement la tradition du cercle.

Un jour naquit RONPOINT, petit-fils du professeur Rondeau. Ses parents, ROULANT et ROULETTE DE LA COURBE travaillaient comme ouvriers à l’usine des roues carrées et possédaient une petite maison modeste au centre de la Cité Des Modernes. Très tôt, Ronpoint De La Courbe découvrit le monde irrationnel du cercle après une chute à bicyclette. L’une des roues carrées se brisa en deux au moment où l’enfant de cinq ans descendait une côte reconnue pour être une pente à pic. Une énorme bosse apparût sur le front du jeune blessé et lui révéla la forme naturelle d’une enflure. Ronpoint la frotta en pleurant et mima ainsi un geste interdit par les adultes. En effet, il faisait rouler ses doigts autour de la bosse et sa mère s’empressa de lui en expliquer le sens impoli:

- Ne refais jamais plus ce geste qui représente le fou.

- Pourquoi maman ?

- Mais je viens de te dire que c’est par ce signe qu’on indique que quelque chose ne tourne pas rond dans la tête de quelqu’un.

- Alors les choses tournent dans la tête des gens ?

- Mais non mon petit chou ! C’est simplement une expression pour indiquer que certaines personnes agissent étrangement.

- Si je trace un cercle avec mon doigt c’est le signe que ça ne roule pas bien ?

- Que veux-tu dire au juste ?

- Maman, si une grande personne veut dire à quelqu’un que tout roule bien dans sa tête, fait-elle le signe du carré ?

Mme De La Courbe ne put répondre à la naïve question de son fils. Pourtant l’enfant voulait simplement savoir si le fait d’associer le cercle à la folie ne troublait pas également celui qui se disait normal en ayant un esprit qui tourne rond dans sa tête? Logiquement, se demandait le bambin, c’était le signe carré qui devait rouler dans la tête des gens normaux et non le cercle. De toute évidence, les roues de sa bicyclette étaient carrées mais les gens utilisaient étrangement l’image du cercle pour signifier ce qui roule ? Décidément, Ronpoint venait de constater un fait si important qu’il ne puisse s’empêcher d’éprouver une sorte d’attirance surnaturelle pour le cercle.

Le jeune chercheur fut boudé par ses camarades de maternelle dès qu’il tenta de leur faire comprendre la réalité du cercle. Pour mieux le faire, il prit simplement l’exemple du soleil. Comment pouvait-on nier la forme arrondie d’une boule de feu aussi grosse ? La jardinière d’enfants vint rapidement au secours de ses bouts-de-choux en disant à Ronpoint: “Voyons mon petit, le soleil est trop éloigné pour connaître sa forme exacte. Si tu vois un trou dans un carré du ciel, est-ce que tu vas dire que tu connais la forme de la grosse boîte dans laquelle se trouve ce cercle lumineux ? Tu dis que le soleil est rond parce que tu es trop jeune pour comprendre que la lumière des QUATRE COINS DE L’UNIVERS éclaire la terre. D’ailleurs, ta maman t’a sûrement enseigné que les QUATRE COINS DE LA TERRE sont habités par des messieurs et mesdames qui sont de QUATRE RACES DIFFÉRENTES. Tu vois bien mon petit que le point rond ne peut être le soleil puisqu’il serait carré. Tout ce que tu remarques, c’est un trou dans le vrai soleil.”

L’enfant était fort confus par les révélations erronées de sa maîtresse d’école. Toutefois, comment pouvait-il lui prouver qu’elle avait tort de prétendre que le cercle lumineux était simplement un trou dans le soleil ? Si la terre était carrée à cause de ses quatre coins, comment une forme ronde pouvait-elle l’éclairer ? Le bambin était prêt à croire la théorie de cette femme puisque tous les peuples parlaient d’un soleil unique. Il devait logiquement pouvoir éclairer les quatre coins uniformément ! Le garçon réfléchissait à la question lorsqu’une fillette lui dit en riant : “Moi je regarde le trou du soleil à tous les jours parce qu’il ne se brise pas comme celui de la lune. Tu crois que le BOUCHON de la lune est mangé par le soleil ?”

Une telle conception du soleil et de la lune porte à sourire et pourtant, c’était la seule manière d’expliquer aux citadins que le cercle était au service du carré. L’astre du jour était un carré par lequel sortait sa lumière à travers un cercle et la lune n’était qu’un bouchon nocturne qui obstruait partiellement ou entièrement le trou du soleil. On devine qu’avec une telle théorie, la mentalité des enseignants était loin de progresser vers l’objectivité empirique! Pourtant, comment pouvait-on expliquer autrement que le carré devait conserver sa suprématie sur le cercle à tout prix ? Il était inconcevable de songer à réparer le mal créé par la roue carrée puisque c’est tout le système économique qui allait devoir s’écrouler comme un château de cartes. Le simple fait de reconnaître la supériorité de la roue conventionnelle des anciens revenait à abdiquer en faveur d’une logique naturelle. En effet, les problèmes des citadins venaient justement de l’emploi d’une forme qui n’était pas faite pour rouler. L’ambition de Quadrex et de l’empereur Karo trompa honteusement le peuple en discréditant la valeur du cercle. En deux mots, on avait profité des pauvres gens ; le résultat fut de les rendre malades, colériques et intolérants. Les routes de la Cité ressemblaient à des tranchées boueuses et des millions de charrettes brisées pourrissaient dans les dépotoirs. Vraiment, elle était belle la Cité Des Modernes !

Quelques années passèrent sans que Ronpoint De La Courbe prenne la défense du cercle. Il avait peut-être neuf ou dix ans lorsqu’il surprit la conversation entre deux citoyens fort âgés. Ceux-ci, assis sur un banc public, attendaient patiemment que passe la journée.

- Je ROULE MA BOSSE depuis si longtemps comme scientifique que j’ai finalement laissé de côté les théories et les concepts. On TOURNE AUTOUR DU POT sans jamais parvenir à formuler une hypothèse qui demeure valable à long terme.

- Le monde TOURNAIT avant que l’homme cherche à l’expliquer par des formules mathématiques et TOURNERA sans tenir compte de nos théories scientifiques.

- Le CERCLE scientifique TOURNE EN ROND en s’imaginant résoudre les problèmes du monde matérialiste. Toutes les inventions servent à faire ROULER l’économie.

- C’est un fait que les riches profitent le plus des nouvelles inventions pour augmenter la productivité. Que veux-tu, dans toute société, un certain nombre ROULE sur l’or tandis que les autres doivent ROULER leurs sous pour les économiser.

Le garçon écoutait les vieillards parler en plaçant inconsciemment l’image du cercle dans leur discussion. Cela le fit réfléchir à nouveau à la forme du soleil et de la lune. La nature utilisait le cercle pour tellement de choses qu’il fallait songer sérieusement à les remarquer davantage. Ronpoint s’acheta une table d’ardoise et une craie afin de noter tout ce qui était rond autour de lui. Sa première analyse porta sur les formes arrondies du corps humain. Il en vint à réaliser que la pensée loge dans un crâne rond. L’homme se nourrit ensuite par le trou de la bouche, il entend encore par deux autres cavités rondes ayant des pavillons arrondis. Finalement, voit à travers deux orifices circulaires dans lesquels se logent deux yeux ronds. Que dire des narines, des pores de la peau et même du nombril, sinon qu’ils témoignent en faveur du cercle! Ronpoint était loin d’avoir tout compris au sujet du merveilleux fonctionnement de la nature. Autour de lui, toute forme naturelle était de forme arrondie : Tout ce qui existait sur terre à l’origine avant la “création” de l’homme étaient fait de courbes. Il pensa alors aux primitifs et se demanda si ceux-ci n’avaient pas construit leurs tours en rond justement pour respecter la forme naturelle des choses. Il était encore trop jeune pour songer au rôle de l’homme et de la femme au cours d’une relation, sans quoi sa croyance du cercle comme signe manifeste de la vie lui serait apparue clairement. En effet, d’un trou sort ce qui doit entrer dans un autre et le miracle s’accomplit ensuite lorsqu’un enfant sort du trou maternel. Finalement, le chercheur aurait vite découvert qu’on sort d’un cercle à sa naissance et qu’on la termine dans un trou (évidemment, les Modernes s’empressent d’affirmer que le trou du cimetière n’est pas rond mais rectangulaire ! Cela n’est qu’une MODE et non une LOI NATURELLE puisque rien n’empêche un défunt d’être enseveli dans la position foetale.) Même les morts voient la lumière éternelle par un tunnel circulaire ! Ronpoint découvrit cependant que tout ce qui se mange passe par un trou pour en sortir par un autre.

Un après-midi, le garçon vit un magnifique arc-en-ciel apparaître dans le ciel. Il nota aussitôt la forme empruntée par les couleurs. La courbe disparût après avoir attiré le regard de l’enfant sur un phénomène d’une rare beauté. Le soleil, la lune et Vénus s’étaient donnés rendez-vous au-dessus de la ligne d’horizon. On aurait dit que le ciel tenait à dire dans un langage visuel : “Ouvre bien les yeux et voit la forme par excellence des planètes et des astres.” Aussitôt, l’observateur s’écria : “Pourquoi la terre ne serait-elle pas ronde comme eux ? Je ne peux le prouver mais quelque chose me dit que j’ai raison.”

L’enfant trouva bien d’autres preuves en faveur du cercle. La tige des fleurs, la forme de la corolle et des feuilles n’avaient rien en commun avec le carré. Tout semblait prendre sa source du cercle. Le vent faisait courber les fleurs, les brindilles d’herbes et les arbustes. En passant devant un étang, le chercheur lança un petit caillou dans l’eau et vit des sillons se former sur la surface de l’eau. Était-ce normal de ranger le cercle parmi des figures insignifiantes après tout ce qu’il venait de découvrir ? Vraiment troublé, Ronpoint chercha un coin où se reposer pour ne plus penser à tout cela. L’odeur d’un cigare allumé attira son attention. Un riche monsieur s’amusait nonchalamment à faire des cercles de fumée en lisant un journal. Cela en était trop pour l’enfant. Il retourna à la maison rapidement et s’enferma dans sa chambre. Alors il reçut une goutte d’eau dans le cou. Il recula juste à temps pour éviter une autre venue du plafond. Elle s’affaissa sur le sol et une autre la suivit de près. Bientôt un petit cercle se forma sur le plancher. L’observateur tendit la main pour en examiner soigneusement la forme. “Elle est ronde évidemment comme la flaque sur le sol. Comment peut-on nier obstinément que le cercle est la forme la plus importante de la nature?”

Le plancher trempé n’inquiétait pas du tout le garçon. Il s’était posté devant la fenêtre et regardait les immeubles de la Cité. Toutes les maisons et bâtiments étaient carrés ou rectangulaires. Une charrette passait lentement dans la rue et les passagers maudissaient la mauvaise condition des routes. Une femme allaitait son enfant en tentant d’approuver d’un signe de tête toutes les plaintes du conducteur. À chaque fois qu’une surface de roue frappait lourdement le pavé, le nourrisson perdait la tétine de sa mère et se mettait à pleurer. La pauvre femme tenta de dire à son époux qu’elle ne pouvait faire boire l’enfant pendant que la charrette roulait, mais son mari lui répondit froidement : “Comme nous ne sommes pas assez riches pour nous payer un carrosse et des porteurs, contente-toi de bercer Guillaume jusqu’à la maison.”

Dans la Cité Des Modernes, les riches avaient tous leurs porteurs et évitaient ainsi d’avoir à expérimenter leurs créations comme les pauvres gens. Pendant un long moment, Ronpoint fixa les roues carrées de sa bicyclette verrouillée sous sa fenêtre de chambre à coucher. Un éclair de génie lui traversa l’esprit. Il songea à remplacer celles-ci par des anneaux de métal. Sans attendre la permission de ses parents, il se mit au travail. Il plia deux perches de métal empruntées aux rideaux du salon et les arrondit sans trop d’efforts. Ronpoint était assez intelligent pour ne pas monter lui-même sur sa bicyclette avec des roues aussi fragiles. Il fit asseoir son ourson de peluche sur la barre pour observer comment se comporterait un nounours sur une bicyclette aux roues circulaires... ou presque. Le plancher du salon servit de piste pour cette première expérience scientifique. À sa grande surprise la bicyclette roulait sans faire de bruit et l’ourson demeurait sur la barre sans sursauter comme une fève mexicaine ! “Je le savais que le cercle roulerait mieux que le carré, s’écria l’enfant excité.”

Le coeur heureux, Ronpoint attendit d’un pied ferme ses parents pour leur annoncer la bonne nouvelle. Malheureusement, Monsieur Roulant et Roulette De La Courbe entrèrent en compagnie du contremaître de l’usine des roues carrées ! En voyant la bicyclette aux roues bizarres, monsieur CARTOCARRO en devint rouge de colère. Il se retourna vers les parents en les pointant d’un doigt sévère et leur dit sans reprendre son souffle : “C’est ainsi que vous remerciez l’entreprise qui vous fait vivre ; en inventant des roues interdites par un décret impérial ? Vous êtes congédiés! Notre compagnie verra à vous faire traduire en justice pour avoir violé la loi.” Les parents tentèrent d’expliquer qu’ils n’y étaient pour rien dans cette invention, mais le contremaître cracha sur le plancher en criant assez fort pour que les voisins entendent ses propos : “Vous êtes prêts à accuser votre fils pour vous disculper ? Jamais je n’ai vu de gens aussi lâches. Par mesure préventive, je vais de ce pas, chercher les officiers de la surveillance des moralités pour qu’ils vous retirent rapidement la charge de votre enfant. Vous l’avez sûrement corrompu à vos idées réfractaires pour qu’il prenne plaisir à jouer avec une forme interdite.”

C’est ainsi que Ronpoint se retrouva dans une institution pour jeunes délinquants, sans pouvoir défendre ses parents contre les inquisiteurs économistes de la Cité Des Modernes. Selon l’article premier du manuel de QUANTIN QUADREX, considéré comme la bible des hommes d’affaires, monsieur et madame De La Courbe étaient passibles de mort pour avoir possédé deux roues primitives dans leur salon. Comme leur enfant ne cessait de répéter être l’unique responsable, le tribunal trancha la question en condamnant cette famille à détruire publiquement leur invention barbare et à quitter la Cité pour toujours. En attendant la date exacte de l’exécution de la sentence, les parents de Ronpoint durent travailler bénévolement à l’usine. Leur fils fût également engagé dans une autre usine d’assemblage pour qu’il apprenne le métier de CARRÉSIEN-ROULEUR, c’est-à-dire de faiseur de roues carrées. Il perdit le droit d’aller à l’école et celui d’être rémunéré pour son travail d’apprenti.

La justice savait profiter de tels malfaiteurs en les exploitant au nom de la loi. Le plus triste, c’est que l’enfant ne pouvait plus considérer ses parents du point de vue légal puisque la cour leur retira le droit de l’éduquer. À moins de fuir très loin au-delà de l’empire du Carré, les membres de la famille De La Courbe ne devaient plus espérer se retrouver un jour.

Pas moins de dix ans passèrent avant que la cour n’exécute son verdict. Pendant tout ce temps, la famille De La Courbe travailla gratuitement pour l’État. Le pire, c’est que Ronpoint avait déjà dix-neuf ans lorsqu’il revit ses parents sur la place publique. L’émotion était grande mais il ne fallait surtout pas défier la loi rationnelle qui avait décidé que les parents n’avaient plus le droit d’agir comme tels envers leur enfant. Par conséquent, Ronpoint fit semblant d’ignorer leur regard. Par son attitude, il espérait leur éviter de s’attacher encore à lui. Le pauvre homme ignorait sans doute que certains sentiments sont vraiment trop puissants pour s’effacer avec le temps.

Un huissier fit monter les prisonniers sur une grande estrade carrée et s’adressa à la foule nombreuse en disant : “Oyez, oyez, braves gens, avis est donné que l’exécution d’un ordre de la Cour Impériale s’applique aujourd’hui au sujet de la destruction immédiate d’un objet interdit par la loi. Que l’un des accusés exécute la sentence !” Alors Ronpoint saisit rapidement la bicyclette au bout de ses bras et la lança contre un petit mur carré situé derrière lui. Au même instant, les roues s’en détachèrent et roulèrent un moment sur l’estrade avant de chuter en dehors de celle-ci. La foule fut émerveillée par ces objets qui roulaient parfaitement sans faire de bruit. Des gardes s’empressèrent d’écraser les roues. Trop tard, les gens comprirent aussitôt la différence entre des roues carrées et circulaires. Des oignons et des tomates pourries destinées normalement aux prisonniers pleuvèrent sur les gardes et même sur le huissier. La foule devenait de plus en plus incontrôlable. Certaines personnes en colère criaient : “On veut des roues qui roulent comme celles-là !” “À mort les roues carrées!” “Maudite soit l’industrie des profiteurs ! Donnez-nous des roues magiques !”

La famille De La Courbe pleurait de joie en réalisant que la foule venait de comprendre la supercherie des ambitieux de la Cité. On devait s’attendre à voir Ronpoint et sa famille être libérés, mais des centaines de gardes s’empressèrent de disperser la foule pendant que d’autres poussèrent violemment les prisonniers dans une charrette prison avant de les conduire en dehors de la Cité. L’empereur KARO III, arrière-petit-fils du premier empereur de la Cité Des Modernes donna ses instructions aux gardiens. Il fallait absolument conduire les prisonniers au désert et les abandonner sans nourriture et sans eau. On ne voulait pas que le réinventeur de la roue circulaire puisse servir de guide aux contestataires de la roue carrée.

À quelques cinquante kilomètres de la ville se trouvait un désert habité par une bande de rebelles recherchés pour vols ou leurs idées politiques. La providence voulut que la famille De La Courbe soit vite retrouvée par ceux qui se donnaient fièrement le nom de “Bergers de la liberté”. Une vingtaine de familles vivaient dans les dunes du CIRCULI, ainsi appelé pour son sable qui formait des cercles immenses autour d’un oasis. On aurait dit une île entourée de sillons sablonneux.

L’oasis des rebelles était un véritable paradis exotique où poussaient toutes sortes de fruits succulents. Une source se trouvait au centre de l’île et puisait son eau sous deux collines arrondies. Les bergers de la liberté n’avaient pas de chef, ni de loi, mais simplement un conseil qui écoutait les revendications de chacun, laissant la sagesse du groupe prendre une décision. Ainsi, on devait voter en faveur ou non d’un projet ou d’une solution qui devait ensuite s’appliquer au groupe pour le meilleur et le pire. Personne ne pouvait ainsi accuser les membres du clan d’une mauvaise gestion de la communauté.

Ronpoint et ses parents furent acceptés à l’unanimité par les rebelles et louèrent le ciel d’avoir été accueillis par des gens qui défendaient leurs idées et leur peau comme eux. La Cité Des Modernes les avait rejetés, mais maintenant leur liberté était plus précieuse que la dépendance d’un système pourri par les ambitieux. La vie sur l’oasis était vraiment belle comparativement à celle des citadins qui continuaient à revendiquer des roues rondes. L’Etat s’y objectait toujours pour des raisons économiques, mais laissa croire au peuple qu’il désirait étudier la question sérieusement avant d’accorder un tel revirement des “moeurs mathématiques.”

Un certain RECTANGLAS, architecte impérial fit la preuve de la DANGÉROSITÉ de la roue circulaire. “Réfléchissons en comparant simplement deux formes opposées qui désirent se prévaloir de la valeur normative de leur figure respective. Je m’étonne du manque de logique de ceux qui désirent arrondir des roues de charrettes, tout en reconnaissant l’inutilité d’en faire autant avec les maisons et les immeubles de la Cité. L’utilisation du cercle offre certains avantages sur une surface plane, mais cause de sérieux problèmes dans une pente, quel que soit son degré d’inclinaison. Ainsi, une charrette munie de roues circulaires obligerait le cheval à retenir un trop grand poids lors d’une descente. À moins d’avoir des pattes d’une rare robustesse, le cheval risque de se faire écraser par la charrette. Comme deuxième point, je voudrais souligner le danger éminent qui résulterait de l’utilisation de roues circulaires. Le cercle n’a pas sa place dans un monde où le rythme de vie des gens est au ralenti. Si un jour le cercle est utilisé, les charrettes rouleront toujours de plus en plus vite et les citadins devront s’accommoder à un monde régi par tout ce qui roule vite. Bientôt, plus personne ne pourra freiner la vitesse du symbole roulant. Le carré représente ce qui sécurise. Lorsque vous désirez enfermer vos brebis dans un endroit sûr, les placez-vous dans une sphère ou dans un enclos conventionnel ? Gardez-vous vos trésors dans une boîte ronde qui risque de rouler chez un voisin malhonnête ou bien dans un coffret carré ? Il faudra que l’État choisisse entre la sécurité des roues carrées ou la folle instabilité du cercle.”

Ainsi donc, les craintes envers le cercle venaient principalement de son mouvement instable et surtout de sa possibilité de faire rouler le monde. Un système préfère toujours la stabilité même s’il devient STAGNANT à la longue. Un scientifique écrivit personnellement aux autorités d’une célèbre université Des Modernes pour les mettre en garde contre la forme objective du cercle. Sans se nommer, il écrivit : “Un jour où l’autre, notre monde devra s’expliquer clairement au peuple car celui-ci devient de plus en plus érudit. Par conséquent, il est préférable de le faire en le définissant selon les règles acceptées par notre entendement. Quel serait donc l’avantage d’expliquer une réalité qui dépasse nos connaissances actuelles en la contenant dans une théorie CARRÉENNE plutôt que CIRCONFÉRENCIENNE me demanderiez-vous ? Placé sur une ligne horizontale, le cercle a cette particularité de pouvoir exposer à l’observateur la quasi-totalité de sa forme, contrairement au carré qui repose sur l’une de ses quatre parties égales. Cette figure qui voile le quart de sa forme originelle possède l’avantage de représenter les trois quarts seulement de la réalité du monde. Par conséquent, la question à vous poser est celle-ci : Comment REMPLIR UN MONDE EXPLICABLE. Jugez vous-même laquelle des deux figures correspond le mieux à votre satisfaction.”

Une question suppose inévitablement que nous recherchons une réponse, un résultat ou une action à poser quelque part. Puisque la science est justement un cumul interminable de recherches et de connaissances acquises au cours des siècles, il va de soi que les “empiristes du carré” n’étaient pas prêts à utiliser un symbole aussi puissant que le cercle pour exprimer la totalité d’une science en constante évolution. Était-ce prudent d’imaginer l’emploi d’une forme qui suggère la compréhension d’un tout alors que dans les faits, le moindre penseur sait que l’homme possède une vérité fragmentaire des choses ? Alors, à quoi aurait-il servi d’afficher son incompétence et même risquer de passer pour des prétentieux en désignant le cercle comme la panache des connaissances ? N’importe quel ennemi de l’empire du carré s’en servira pour prouver que l’objectivité du pouvoir est loin de s’apparenter à l’image que suggère une circonférence.

On peut toujours prétendre que cette guerre entre le cercle et le carré était ridicule puisqu’il s’agissait de préciser la valeur de simples images. Tout de même, il faut reconnaître qu’un peuple a toujours aimé faire bonne figure si bien qu’il passe plus de temps à soigner son image qu’à autre chose. Ceux qui doutent de la valeur des images n’ont qu’à comparer un billet de banque à une pièce de monnaie. Ils verront que le style carré impose son empire même sur la forme de l’argent. Si un intrépide prétend que les jolies pièces d’or sont rondes, il devrait se demander combien d’entre-elles sont contenues dans un seul lingot d’or ?

Avant d’accrocher un drapeau au sommet de l’idéal patriotique, celui-ci doit pouvoir refléter l’image de son peuple. Il en va de même pour le symbolisme du cercle et du carré. Si toutes les formes cherchent à s’arrondir dans la nature, il en va autrement des oeuvres créées par l’homme. Il a ENCADRÉ la nature de formes contraires afin de s’en rendre maître. Cette constatation mériterait sans doute que chaque observateur prenne quelques heures de son temps pour comparer les oeuvres rondes et celles qui sont carrées. Même les montres et les horloges sont en contradiction avec la forme naturelle. Un boîtier carré n’empêchera jamais le temps de faire le TOUR des secondes, des minutes et des heures.

Après un vote pris à mains levées AUTOUR de la table des empiristes, le ministre de la justice fit passer une LOI MORALE contre le cercle. Se référant à l’ancien décret qui interdisait les objets ronds, il condamna ce symbole à tout jamais en prétextant qu’il était le principal agent CORRUPTEUR de la stabilité sociale. Le simple fait d’avoir exposé une bicyclette aux roues arrondies avait incité le peuple à contester la valeur du carré. L’empire ne pouvait laisser ce symbole GASPILLER le “conformisme” des empiristes et “l’encadrement” offert par un symbole carré.

Ainsi, le carré devait conserver sa place afin de maintenir L’ILLUSION d’un monde défini en trois dimensions comme les trois faces du carré visibles. Ce n’était pas important de laisser le quart de la réalité dans la face cachée puisque le cercle l’aurait montrée sans pour autant l’expliquer. Le grand architecte, Rectanglas, se fit un honneur d’annoncer à la population que le cercle n’aura jamais sa place parmi les figures “morales” de la sécurité. Il répondit froidement aux nombreux mécontents : “Nous avons préféré vous faire rouler sur la sécurité plutôt que sur le confort insécure.”

Ronpoint se retrouva donc condamné à vivre le reste de ses jours dans le désert en compagnie des autres rebelles. Il ne s’en plaignit pas du tout depuis que l’une des “filles de la liberté” le suivait partout dans ses déplacements. Ils finirent par s’aimer si fort que les parents de Ronpoint se préparèrent à recevoir prochainement la fiancée dans leur humble cabane de feuilles. Leur fils était heureux mais quelque chose l’empêchait d’accepter la fin du cercle. Une nuit, il vit dans son rêve une longue piste sur laquelle circulaient des centaines de vélos aux roues circulaires. Cela suffisait pour qu’il raconte son rêve à sa partenaire.

- Tu sais, SPIRALSA, mon rêve pourrait se réaliser si nos amis acceptaient de créer une piste cyclable autour de l’oasis.

- Les bergers de la liberté sont tous tes amis, s’empressa de répondre la charmante jeune femme d’un sourire sincère. Je trouve ton idée vraiment géniale puisque nous pourrons faire des randonnées autour de notre monde. Il ne va pas au-delà de notre oasis mais c’est le nôtre pour le meilleur et pour le pire.

- Tu dois sans doute me trouver vraiment entêté d’insister encore afin de faire reconnaître la valeur du cercle qui a été prohibé par les Modernes ?

- Pas du tout, s’empressa de répondre sa partenaire en lui saisissant amoureusement les mains. Avec des yeux aussi grands et aussi ronds, comment peux-tu renier ta vocation? Ce n’est pas le cercle que tu défends mais la “loi naturelle des formes originelles.” Des millions d’êtres en sont conscients mais se taisent et viennent grossir le nombre des grains de sable du désert. Ce lieu est celui du CRI DU SILENCE. Même si le vent le transporte en poussière étouffante au-dessus de la Cité Des Modernes. Il ne dérange pas les réfractaires du cercle. Ton cas est différent puisque tu es un grain de sable dans L’OEIL des empiristes. Ils ne t’aiment pas parce que tu troubles leur vision des choses. Tu dois poursuivre ton humble travail pour témoigner en faveur de la liberté des formes de notre monde.

Soutenu moralement par Spiralsa, le jeune homme présenta son projet aux bergers de la liberté. Ils l’acceptèrent à l’unanimité et allèrent de ce pas, tracer un cercle routier autour de l’oasis. Puis, chaque membre de la communauté fabriqua une bicyclette de bois afin de profiter de cette première piste cyclable des temps modernes. Ronpoint et sa fiancée roulaient côte-à-côte sur le sentier exotique en songeant aux citadins qui devaient toujours maudire leurs routes cahoteuses.

D’autres contestataires du carré apprirent avec joie que Ronpoint vivait au désert avec d’autres rebelles de la Cité Des Modernes. Ils prirent pas moins de six longues heures pour parcourir les cinquante kilomètres qui séparaient la cité carrée de l’oasis arrondie. Ce voyage épuisant devait se faire en charrettes ou à pieds. Les autorités n’autorisaient personne à monter à cheval pour des raisons sécuritaires. Un matin, des gens entassés dans quatre charrettes arrivèrent à l’oasis en se plaignant de toutes sortes de “bobos” puisque c’était normal d’aborder les gens en choisissant instinctivement de parler des mauvaises conditions routières. Chacun avait sa petite mésaventure à raconter aux rebelles qui se contentaient de sourire en apprenant que l’une des charrettes perdit ses quatre roues au cours du voyage, qu’une autre se fendit en deux et que le plancher d’une troisième faillit s’effondrer lorsque les vis et boulons flanchèrent en même temps.

Toutes les frustrations s’évanouirent lorsque les invités découvrirent la piste cyclable et les bicyclettes aux roues circulaires. Aucune thérapie ne serait parvenue à faire disparaître les maux de têtes en si peu de temps. Ronpoint dit joyeusement aux pauvres voyageurs: “Prenez-vous une bicyclette et roulez ensuite sans vous presser sur notre route magique.” L’effet ressenti par les cyclistes fut véritablement magique. Plus personne ne voulut descendre de sa bicyclette malgré la brunante. Les rebelles durent faire des petits feux pour éclairer la piste, sans quoi les maniaques de ce sport se seraient cassés la gueule en roulant dans le noir. Ceux et celles qui débarquèrent enfin de leurs bicyclettes magiques refusèrent de les ranger pour aller dormir.

Pourtant, comme toute bonne chose, il fallait songer à s’en retourner chez soi. Ronpoint invita les gens à venir demeurer au désert mais l’un des citadins lui redonna tristement sa bicyclette en disant :

- J’aimerais bien me joindre à vous mais vous n’avez pas de spécialistes pour soigner mes maux de têtes.

- C’est vraiment excitant de rouler sur de telles bicyclettes, ajouta un autre en baissant les yeux. Je vais revenir dans mes congés en compagnie de ma femme et de mes enfants qui raffoleront de cette piste et surtout de ces bicyclettes aux roues circulaires.

- Je te la donne si tu veux l’emporter là-bas, lui dit Ronpoint d’une voix attristée. Ne souhaites-tu pas rouler en douceur dans ton monde carré ?

- C’est que les routes y sont si mauvaises que je briserais ta bicyclette en voulant rouler sur celles-ci.

- Je comprends... oui, bien sûr, lui dit le jeune homme en lui reprenant la bicyclette.

Même si les visiteurs étaient tous fascinés par ces bicyclettes, aucun d’eux ne voulut demeurer au désert. Ils prirent place dans leurs charrettes et retournèrent dans la cité. Les rebelles accueillèrent des centaines de TOURISTES qui venaient d’un peu partout à travers l’empire pour admirer les bicyclettes aux roues magiques. L’un d’eux s’exclama tout de même en demeurant caché dans la foule : “Elles sont intéressantes ces roues INTERDITES PAR LA LOI !” Cela fut suffisant pour que la foule se disperse aux quatre coins du désert. Les rebelles comprirent que l’empereur connaissait à présent leur cachette et leurs activités illicites puisque Ronpoint gémit tristement à ses amis : “C’était la voix de Rectanglas. Il va sûrement demander à l’empereur d’envoyer une armée pour nous déloger d’ici ?”

Les bergers de la liberté avaient convaincu les citadins de la supériorité de la roue circulaire mais ceci ne fut pas suffisant pour les rallier à leur cause. Ils étaient seuls pour se défendre contre un monde gouverné par le carré. N’allez pas croire que les rebelles périrent bêtement sous les balles rondes des fusils ennemis puisqu’ils se trouvèrent un autre oasis situé dans un désert encore plus vaste que celui qu’ils quittèrent. Ronpoint et Spiralsa eurent de nombreux enfants qui devinrent d’illustres défenseurs du cercle à travers les siècles. C’est grâce à leur témérité si l’empire du carré n’est jamais parvenu à éliminer le cercle. Il parvint même à se faufiler dans les écrits des empiristes du carré en servant de point à la fin de chaque phrase. Certains observateurs perspicaces ont déjà deviné que Ronpoint De La Courbe hante encore les Modernes en se cachant habilement sous le symbole du POINT VIRGULE. Ce ROND POINT QUI COURBE est comme le nom et prénom de celui qui se bat encore pour défendre son POINT...

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